SMOKE

pour trois percussionnistes, 2014

En entamant le travail de composition de SMOKE, je croyais explorer uniquement les possibilités offertes par l’effet de proximité, un effet acoustique qui fait surgir des fréquences graves de la rencontre intime entre un microphone et une voix. Mais la force persévérante de mon inconscient, dans ce chantier ouvert sur l’expérience sonore de la proximité, a soudain laissé apparaître le vide laissé par deux êtres proches disparus récemment. Sans le savoir, j’écrivais un thrène, un chant de deuil. Tout s’est alors éclairci, la présence harmonique insistante de Three Voices de Morton Feldman, où le compositeur disait voir les haut-parleurs comme autant de pierres tombales et la voix centrale dialoguer avec des esprits, le son intérieur et répétitif d’un rituel de cymbales tibétaines martelées, la résurgence lointaine des mélodies de Pandit Pran Nath, dont le timbre de voix évoquait autant la cendre que la fumée du titre dont je ne pouvais pas davantage me défaire.
[Ecrit à l’intention de We Spoke : New Music Company, SMOKE est une commande de la fondation Nicati, juin 2014]

MATERIEL:
– 3 timbales graves
– 1 jeu de crotales, de C6 à G7 :

part I : C7-C#7-D7-D#7-E7-F7-F#7
part II : D6-E6-G6-G#6-A#6-B6-G7
part III : C6-C#6-D#6-F6-F#6-A6

– 3 microphones pour voix, 1 haut-parleur par personne à placer près de l’instrument et deux caissons de basse (subwoofer) à répartir entre les 3 musiciens
– 1 lecteur de fichier vidéo par personne, type tablette pour lecture de la partition animée
– 1 lecteur de fichier son par personne, pour diffusion du son repère au moyen d’un petit écouteur (utilisation optionnelle)

La partition animée comporte différentes indications :
– les dessins y figurant sont à interpréter par restitution sonore analogique, simultanément avec la voix et avec la timbale, en glissando; en ordonnée, les fréquences en hertz, et en abscisse, la durée en secondes
– 3 lignes horizontales fixes donnent des repères de hauteurs : a) la fréquence de référence, au centre b) une quarte au-dessus de la fréquence centrale c) une quarte au-dessous de celle-ci
– Les hauteurs indiquées sont relatives : la fréquence de référence donnée à entendre aux interprètes peut varier en fonction de leurs capacités vocales, privilégier le registre le plus grave possible. Mais les rapports entre les trois fréquence de base doit rester le même ; accorder les timbales en fonction du registre choisi
– Sons de référence, par exemple (conserver le même rapport en hertz entre le trois parties, selon la fréquence de base choisie):

part I : 111.54 hz
part II : 116.54 hz
part III : 122.54 hz

 – les 3 lignes horizontales déterminent également la répartition des hauteurs des crotales utilisées par chaque interprète. Sept hauteurs de crotales sont indiquées verticalement pour les parties I et II, et six pour la partie III
– Une ligne verticale fixe et centrale indique le lieu de lecture de la partition animée
– Le symbole indique une série de notes répétées jusqu’au dessin suivant ; les 3 percussionnistes sont toujours à l’unisson rythmique (tempo = 320 à la croche, min.)
– Le chant des percussionnistes se base sur une voyelle semi-ouverte et joue librement avec l’effet de proximité qu’offre l’usage du microphone

INTERPRETATION :
– De sec 1 à sec 300 = pppp, quasi niente
– De sec 300 à sec 900, léger crescendo des voix amplifiées, dès sec 900 les voix se retirent progressivement en un decrescendo a niente jusqu’à 1080
– Dès sec 660 le jeu des crotales de chaque percussionniste se poursuit parfois et traverse la partie de voix en une densification progressive jusqu’à sec 900
– Dès sec 900, le jeu, le rideau de crotales doit être quasi constant
– Le crescendo des crotales se fait sur la totalité de la pièce, de pppp à ffff
– A sec 1080, les voix disparues, le jeu et le crescendo des crotales continue encore pendant 20-30 secondes, suite à quoi chaque percussionniste s’engage librement dans un decrescendo a niente et termine sa partie